« Memento Mori. Souviens-toi que tu te meurs. »

Memento mori. Cette formule trouve son origine dans l‘antiquité gréco-romaine. D’après la tradition, lorsqu’un général sortait victorieux du champ de bataille et arpentait les rues de la cité romaine, un esclave se tenait debout derrière lui, chargé de lui murmurer à l’oreille : « Memento mori. Souviens-toi que tu te meurs ». Comme pour lui rappeler que malgré les succès d’aujourd’hui, il n’était qu’un simple mortel et qu’il avait intérêt à se garder de toute vanité.

Cet appel à méditer sur la fugacité de la vie humaine avait pour but de rappeler aux hommes de célébrer leurs succès sans arrogance, mais aussi de lâcher prise face aux échecs. Il n’est donc pas étonnant que l’idée existe à la fois dans la tradition stoïcienne et dans la tradition chrétienne. D’ailleurs, le mercredi des cendres, jour qui marque l’entrée dans le carême pour les chrétiens catholiques, le prêtre dépose des cendres sur le front des fidèles en prononçant la phrase : « Tu es poussière et tu retourneras poussière. »

Ayant été élevée dans la foi catholique, j’ai souvent participé à ce rituel. Pourtant ce n’est que très récemment que j’ai commencé à méditer sur la vie et sur l’inévitabilité de la mort. Je dois cette réflexion en grande partie à un écrivain américain à succès, Ryan Holiday. Amoureux des enseignements des stoïciens, il ne se sépare jamais d’une pièce sur laquelle est inscrite côté face « Memento mori », et côté verso, une citation de Marc Aurèle : « Vous pouvez quitter la vie à cet instant même. Faites que cela détermine ce que vous dites et pensez en ce moment. » Ce concept a eu tellement d’impact sur moi que je me suis fait tatouer cette phrase sur l’avant-bras.

Pour de nombreuses personnes, la mort est une perspective effrayante qu’on ne doit pas évoquer et à laquelle on ne doit pas penser de peur qu’elle se manifeste. Pourtant il n’y a rien de plus intimement lié à la vie que la mort. Rien ne sert de la redouter puisqu’elle surviendra quoiqu’il arrive. J’ai d’autant plus pris conscience de cette vérité ces derniers mois, quand j’ai senti mon corps me lâcher à la suite d’un burn-out professionnel. Tout d’un coup j’étais incapable de fonctionner correctement. Je prenais deux fois plus de temps pour effectuer les taches manuelles ou intellectuelles les plus simples. J’étais dans un état d’épuisement permanent, l’esprit plongée dans une brume que rien ne semblait pouvoir dissiper, avec des douleurs physiques que rien ne semblait expliquer.

Pendant cette période j’ai souvent pensé à la mort, me demandant si ma vie aurait valu la peine d’être vécue si elle devait s’arrêter là. Qu’ai-je accompli ? Quel souvenir vais-je laisser derrière moi ? Ai-je vécu une vie dont je suis fière ? Autant de questions que l’on a tôt fait de balayer d’un revers de la main, happés et pressés par le tourbillon des responsabilités et des « to-do lists »… jusqu’à ce que l’on se retrouve immobilisé par la maladie, le chômage ou la perte d’un être cher.

Il n’y a peut-être rien de réjouissant à faire face à la perspective de sa propre mort mais bien souvent c’est le déclic qu’il faut pour donner un sens à sa vie. En la matière l’exemple d’Evariste Galois est particulièrement stupéfiant. Evariste était un jeune mathématicien français, qui en 1831 s’est retrouvé provoqué en duel à la suite d’une querelle amoureuse. Persuadé qu’il allait mourir, il a passé la veille du duel à tenter de résoudre des équations qui le tourmentait depuis des années. Il se trouve qu’il est effectivement mort au cours du duel et les notes qu’il a laissé derrière lui ont conduit à une véritable révolution de l’algèbre.

Pour autant faut-il que nous soyons tous à l’article de la mort pour donner un sens à notre présence sur terre ? Une méditation sur notre mort prochaine est le parfait rappel que le temps qui nous est donné est précieux autant qu’il est limité. Si je dois mourir aujourd’hui, est-ce que je veux vraiment que mon dernier jour sur terre ressemble à ça ? Me lever aux aurores avec un manquant de sommeil. Crier sur mes enfants parce qu’ils me mettent en retard. Aller à reculons à un boulot que je déteste. Retrouver des collègues qui cherchent à me faire renvoyer. Faire défiler sans fin mon fil d’actualité sur Instagram. Me chamailler avec des inconnus sur Facebook. Juger mes voisins. Maudire ma vie. Me coucher et tout recommencer le lendemain.

Memento mori.

Dans cet avertissement laconique se trouve une invitation à ralentir et à honorer le moment présent. Demain ne nous est pas donné. Avons-nous exécuté aujourd’hui une tâche qui compte vraiment ? Avons-nous servi les autres ou nous sommes nous servis nous-même ? Avons-nous dit « Je t’aime » ? Avons-nous dit merci ? Sénèque a dit : « Vous vivez comme si vous alliez toujours vivre, jamais votre vulnérabilité ne vous effleure l’esprit, vous ne remarquez pas du tout le temps qui est déjà écoulé ; vous le perdez comme si vous pouviez en disposer à volonté alors que ce jour même dont vous faites cadeau à une personne ou une activité, est peut-être votre dernier jour à vivre. Toutes vos craintes sont des craintes de mortels, mais tous vos désirs sont des désirs d’immortels. »

Je n’imaginais pas me faire tatouer un jour. Pourtant ces dernières semaines j’ai ressenti une urgence à graver ces mots sur ma peau afin que je me remémore, chaque fois que je les regarde, que chaque jour qui passe me rapproche du jour de ma mort. J’ai donc le devoir de mettre de l’intention dans les moments qui me sont donnés. Je continuerai, bien sûr, à passer plus de temps qu’il n’en faut sur les réseaux sociaux ou à m’embrouiller avec des personnes que j’aime pour des futilités. Mais je refuse de laisser ces évènements dont je ne me souviendrai plus dans cinq ans, régir mon quotidien aujourd’hui.

Regarder en face la peur de la mort, accepter l’incertitude et l’inconfort qui sont le lot de tout être humain, tourner le dos au futile pour se concentrer sur l’essentiel. Voilà comment je veux vivre ma vie aujourd’hui et demain.

2 commentaires sur « « Memento Mori. Souviens-toi que tu te meurs. » »

  1. Bel article Marie, il y a beaucoup de sagesse dans ce que tu dis. Je m’en vais désormais me concentrer sur l’essentiel, en tout cas faire un effort dans ce sens he he….et qui sait, “Memento Mori” pourrait bien être l’objet de ma prochaine visite chez le tatoueur.

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    1. Ça fait toujours plaisir de se rendre compte que j’ai pu déclencher une profonde réflexion chez quelqu’un d’autre, sur un sujet qui a eu de l’impact sur moi-même. Merci pour ton commentaire et merci d’être passée par ici aujourd’hui.😊

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