Les gentilles filles ne gagnent jamais

Les hommes ont du mal à exprimer leurs émotions parce que cela ne leur est pas socialement permis. C’est ce que j’ai lu il y a quelques temps et je me suis tout de suite demandé si la situation est vraiment différente pour les femmes. La réalité est qu’en matière de conditionnement social il n’y a de justice pour personne. Ni pour les hommes, ni pour les femmes.

Certes les femmes, contrairement aux hommes, ont le droit de pleurer. Les femmes ont le droit d’être tristes. Pourtant il y a bien une émotion qui leur est interdite : la colère. Un homme peut crier, frapper, insulter. Pas une femme. Sur la palette des émotions humaines, certaines émotions nous sont interdites. Par conditionnement social, les hommes oscillent entre impassibilité et impulsivité. Le territoire réservé aux femmes est celui des larmes, de la tristesse et de la douleur, de préférence silencieuse. Cela je l’ai découvert à l’occasion de mon divorce.

Je fais partir d’une génération d’hommes et de femmes pour qui l’idée du divorce n’a rien d’exceptionnelle. Selon les statistiques les plus récentes, un mariage sur deux se terminera par un divorce et la plupart des gens auront en moyenne deux ou trois relations amoureuses sérieuses au cours de leur vie. Pourtant, je ne me suis jamais sentie plus seule et incomprise que lorsque j’ai dû moi-même affronter un divorce. Je n’étais pas préparée aux attaques, aux batailles et aux injustices que j’allais subir. Je n’étais pas préparée à ce que mes émotions soient niées.

« Pour la plupart des gens le divorce est ce qui se rapproche le plus de l’expérience de la guerre. »

C’est dans une série disponible sur Netflix que j’ai entendu cette phrase. « Dirty Betty » est une série en 8 épisodes. Dès le premier épisode on découvre que Betty a assassiné son ex-mari, Dan. Les 7 épisodes suivants retracent l’histoire de Betty et les 20 années de mariage qui conduisent le couple au divorce puis à l’assassinat de Dan. Sans spoiler entièrement la série, pour ceux qui souhaitent la regarder, je dois dire que j’ai été frappée par plusieurs aspects de l’histoire de Betty.

Très rapidement on découvre que tout au long de son mariage avec Dan, Betty est une épouse fidèle et attentionnée, élevant pratiquement seule quatre enfants, tout en soutenant son mari dans la poursuite de ses ambitions professionnelles. Elle va même jusqu’à abandonner ses propres études et cumuler des petits boulots afin de financer les études de son mari à la fac de droit. Puis, coup classique, Dan la quitte à l’apogée de sa réussite professionnelle pour une femme plus jeune et qui s’avère être sa secrétaire. Après quoi, Betty sombre dans l’hystérie jusqu’au jour fatidique où elle commet l’irréparable.

De manière inattendue, le génie de cette production va bien au-delà d’une brillante mise en scène de la descente aux enfers de Betty. Il montre aussi la série d’injustices qu’elle subit et qui sont le lot de nombreuses femmes à travers le monde. Ainsi, dans une des scènes les plus marquantes on voit Dan, environ deux ans après avoir démarré sa relation extra-conjugale avec sa secrétaire, prendre conseils auprès de son avocat sur la façon de se débarrasser de sa femme tout en conservant la plupart des biens accumulés au cours de leur mariage et en limitant la somme à payer en guise de pension alimentaire.

Cela surprendra peut-être les plus naïves d’entre nous mais lorsqu’il s’agit de se séparer d’une femme qu’ils n’aiment plus, la plupart des hommes se transforment en monstres froids et sans scrupule. Pour eux le divorce n’est pas affaire de sentiment mais de stratégie. Jouer sur les émotions de l’autre, feindre la réconciliation pour l’obliger à baisser sa garde et abandonner l’idée de protéger ses intérêts, se servir des enfants comme monnaie d’échange pour faire chanter leur mère… Pour eux tous les coups sont permis.

Je mentirais si je disais que cette histoire ne m’a pas rappelé ma propre histoire. Quand on reçoit une demande de divorce par téléphone un 1er janvier, alors qu’on est à 8000 kilomètres de sa famille, au beau milieu de l’hiver et en pleine préparation de ses évaluations, on n’a pas la tête à établir un plan de bataille. Le ciel nous tombe sur la tête et la seule chose à laquelle on pense les jours et les semaines qui suivent c’est : Pourquoi ? Pourquoi moi ?

Je me rends compte aujourd’hui que le courage dont j’ai fait preuve pour me sortir de ma torpeur et me mettre en ordre de bataille, est peu commun. Comme beaucoup de femmes, j’aurais pu et j’aurais dû sombrer dans une dépression chronique et ne jamais m’en remettre. Contre toute attente ce n’est pas ce qui s’est passé. Cela je l’attribue à deux décisions prises très tôt dans la bataille et très tôt dans ma vie.

J’ai décidé d’embrasser ma colère et de m’en servir.

Il y a deux ans, lorsque j’ai publié mon article intitulé « Dieu pardonne, moi pas », je ne compte pas le nombre de personnes (surtout des femmes) qui m’ont expliqué que la colère est une émotion destructrice et combien il est important de pardonner. Il est certain que ces personnes ont raison. La colère et le refus de pardonner finissent par détruire ceux qui s’y accrochent. En revanche, leur raisonnement manque de nuance. La colère est avant tout une émotion humaine et comme toutes les émotions, elle doit être acceptée, comprise et canalisée.

Ce que la colère nous enseigne c’est que nous avons subit une violation de notre intégrité. La colère sert un but. Elle sert de moteur pour nous pousser à l’action pour réparer le tort qui a été causé. A défaut d’agir pour obtenir réparation, la colère finit par habiter le corps et le détruire de l’intérieur. J’ai refusé de me laisser détruire, j’ai décidé d’agir pour moi, pour mes enfants et pour réparer l’injustice que je subissais. Pourtant personne sur terre n’avait l’intention de me faciliter la tâche.

J’ai dû renvoyer ma première avocate, une femme, qui pour m’obliger à négocier avec mon ex-mari, avait essayé de me faire croire que je ne récupèrerais jamais la garde de mes enfants. J’ai dû payer à deux reprises des huissiers pour établir des constats d’adultère. Sous mes yeux un de ces huissiers est ressorti de chez mon ex-mari, le sourire aux lèvres et en le remerciant. Il le remerciait certainement de l’avoir payé pour fournir un constat bancal et saboter mes efforts d’obtenir justice. J’ai dû être sourde et aveugle face à des proches qui, croyant bien faire, me conseillaient de ne pas me battre, de me débrouiller toute seule pour m’occuper de mes enfants au lieu de réclamer une pension alimentaire. Pour toutes ces personnes, une femme devrait simplement se taire, laisser faire, négocier, voire supplier pour rentrer dans son bon droit. Une femme n’a pas le droit d’être en colère.

Envers et contre tous, ma colère je l’ai accepté et je l’ai laissé être le moteur dont j’avais besoin pour affronter la bataille légale. Je n’allais pas me laisser abuser sans réagir, parce que je savais que si je laissais faire, la rancune me poursuivrais les années à venir. Résultat des courses : non seulement j’ai obtenu justice mais en prime j’ai pu tourner la page plus facilement et pardonner.

La deuxième décision qui m’a aidé à me relever, je l’ai prise au tout début de mon mariage. J’ai décidé de ne pas sacrifier mes rêves.

Tout comme Betty, de nombreuses femmes sacrifient leurs rêves, ambitions personnelles et aspirations profondes pour être des épouses modèles. Des gentilles filles patientes et conciliantes, au service d’hommes qui bien souvent ne voient même pas leurs sacrifices. On peut donc aisément comprendre qu’elles sombrent dans la folie quand elles finissent, après des années de labeur et de sacrifices, par être remplacée par un modèle dernier cri, sans les vergetures et les cernes sous les yeux.

J’ai refusé de sacrifier mon éducation et mon désir d’avancement professionnel au nom du mariage. Ce choix était murement réfléchi avant même que je me marie. Je me souviens encore d’une conversation que j’ai eu avec un ami avant mon départ pour Glasgow où j’allais faire mon master (la ville même où j’étais, quand j’ai reçu le fameux coup de fil). Il me demandait ce que je ferais si mon mariage devait se terminer à cause de mon départ. Je lui ai répondu par une question. Qu’est ce que je ferais si je restais de peur que mon mariage se termine et que quelques années plus tard il se terminait quand même ? J’aurais une double punition. Celle de voir mon mariage se terminer et celle d’avoir sacrifié mes rêves pour un mariage qui était de toute façon voué à l’échec.

Pour être honnête je n’ai jamais pensé que mon mariage se terminerait pour cette raison. Même si l’avenir l’a démenti, mon ex-mari m’avait toujours assuré de son soutien. Toutefois j’étais sûre d’une chose : je ne voulais pas prendre le risque de faire une croix sur mes rêves à cause d’un homme, parce qu’il est dans la nature des hommes d’être changeants. Être une gentille fille, se sacrifier toute sa vie, n’est pas une garantie de loyauté. C’est la garantie d’être prise pour acquise. C’est surtout la garantie de finir amère et de passer le reste de sa vie à se demander ce qu’aurait pu être la vie si on avait eu le courage de faire de soi-même une priorité.

J’étais prête à vivre avec les conséquences de mes choix. C’est pour cette raison que j’ai pu surmonter la peine de la trahison et reprendre le contrôle de ma vie. J’ai refusé d’être une victime. J’ai refusé de mettre entre les mains d’un homme la responsabilité de mon bonheur. J’ai regardé la vérité en face et j’ai compris personne ne prendrait ma défense si je ne le faisais pas la première. J’ai refusé d’être une gentille fille, parce que les gentilles filles ne gagnent jamais.

10 commentaires sur « Les gentilles filles ne gagnent jamais »

  1. Magnifique article effectivement. Il me parle a plus d’un titre. J’ai pris les 2 même résolutions en demeurant dans le mariage et j’en ai vu les effets. Cela a endurcit le cœur de ma moitié au point que je ne le reconnaisse plus. Tu as bien raison, un homme qui n’aime plus devient froid, calculateur et fais effectivement semblant d’aimer…
    Moi je reste une gentille fille mais je ne suis plus naïve. Je suis une brebis au milieu des loups et je sais clairement que je dois devenir rusée comme un renard et douce comme un agneau.

    Aimé par 1 personne

  2. Combien de femmes mariées se plaignant des torts qu’elles subissent n’ont pas entendu des phrases du type: ” il s’éloigne parce que tu es toujours en colère” ; “il te caches des choses parce que tu es toujours en colère” etc… Aucune femme n’est pourtant en colère au moment où elle dit oui…
    Même les personnes les mieux intentionnées à l’égard de ces femmes tombent dans le piège de donner à la colère de ces dernières, la place de la cause alors qu’elle n’est que l’effet…
    La société voudrait que la femme qui se met en colère ressente de la culpabilité et tant qu’il en sera ainsi on aura juste soit des femmes qui etouffent leur colère au prix de leur santé mentale, soit des femmes qui explosent de colère et ne parviennent pas à en tirer le meilleur.
    Ton récit montre pourtant que c’est possible d’apprivoiser sa colère pour la mettre au service de son mieux être.
    Merci de libérer la parole dessus, avec comme d’habitude, les mots choisis avec la plus grande justesse. ❤

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    1. Effectivement on fait de la colère d’une femme la cause du problème quand elle est la conséquence. Et je ne parle pas du sempiternel : « c’est le père de tes enfants » pour les encourager à laisser tomber tout effort réparation.

      En tout ça merci pour ton commentaire et de toujours être fidèle au blog. 🙏

      Aimé par 1 personne

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