Payer le prix de ses rêves

Ce que nous obtenons trop facilement, nous l’estimons trop faiblement. C’est la cherté seule qui donne à toute chose sa valeur et Dieu sait comment apposer un juste prix à chacun de ses biens. Thomas Paine

Au moment où je lis cette phrase, je repense aux deux années écoulées et au prix que j’ai payé pour accomplir mes rêves. Il était presque 17 heures le Vendredi 29 Septembre 2017 lorsque je foulais pour la première fois le sol Londonien. Mon avion venait d’atterrir à l’aéroport de Heathrow. J’allais découvrir mon premier hiver et je m’étais préparée en conséquence. J’étais mal à l’aise dans mes trois épaisseurs de vêtements, mon pantalon était trop serré et surtout j’avais peur. J’avais quitté ma famille la veille et la séparation avait été plus pénible que je l’avais imaginé.

Pendant les mois qui avaient précédé, je m’étais pourtant convaincue que ce moment serait plein d’excitation. J’étais resté concentrée sur chaque nouvelle étape à accomplir : recherche d’une école, recherche d’une bourse, écriture et réécriture de mon CV et de ma lettre de motivation, demande de visa, échanges de mails interminables entre mon banquier et mon université, interview et attente. Attente interminable au bout de laquelle tout avait semblé se mettre en place. Enfin ! Plusieurs années d’anticipation et des mois de négociation m’avaient conduit à ce moment précis. Mais au lieu de l’excitation, c’était de la tristesse que je ressentais.

A ce moment-là, j’ai réalisé que j’allais vraiment devoir laisser derrière moi ma famille. Au moment où je serrais ma petite dernière dans mes bras, j’ai ressenti un immense déchirement et je n’ai pas su retenir mes larmes. Il n’y avait plus aucun détail administratif pour me distraire de la réalité. Pendant plusieurs mois je n’allais plus revoir les personnes que j’aimais plus que tout au monde. Je partais pour un an. Ce qui au départ m’avait semblé être « un an seulement » était devenu « mon Dieu, un an ! »

Pour mes enfants la vie continuait. Ils ne semblaient pas se douter que cette séparation serait plus longue que les autres. Ma petite dernière était plus calme que d’habitude quand je l’ai mise au lit mais elle s’est endormie rapidement. A trois ans, on n’a pas encore la notion du temps. Encore maintenant, quand il nous arrive de nous séparer un temps, que nous nous parlons au téléphone et qu’elle me demande : « Maman tu rentres quand ? », quelque soit ma réponse, elle me demande toujours : « C’est demain ? ». Pour elle le futur est toujours aussi loin que demain.

Moi-même, je n’avais que trois mois lorsque ma mère quittait le Cameroun pour aller terminer ses études en France. Je n’ai gardé absolument aucun souvenir de cette période. Et j’ai grandi avec l’idée qu’être mère n’était pas un obstacle pour faire des études et avoir une carrière. Mais aujourd’hui, je comprends à quel point ça a dû être dur pour elle. Aujourd’hui j’ai envie de la serrer dans mes bras et lui dire que je la comprends, que j’ai eu une belle enfance et que je la remercie d’avoir fait ce sacrifice pour être la femme que j’ai pris pour modèle en grandissant.

Mon escale à Londres était de courte durée. Le lendemain je repartais : en direction de Glasgow cette fois, la ville où je devais poser mes valises pour l’année qui allait suivre. En pénétrant dans ma petite chambre d’étudiante vide et froide, je me suis demandé : « Qu’est-ce que je fais ici ? ». Pendant les premières semaines, tout autour de moi avait la couleur de mes sentiments : gris. J’ai eu de la peine à m’habituer à ces repas fades, à ce ciel à jamais couvert et à cet accent indéchiffrable. Était-ce de l’anglais que j’entendais ? J’arpentais les rues le cœur lourd. Mais je n’étais pas là pour me morfondre.

J’avais un objectif précis et peu de temps pour l’accomplir. Un an ! Le temps d’un clignement d’yeux. Je n’avais pas le temps d’avoir le mal du pays. Alors je me suis résolument mise au travail. Il fallait déjà surmonter la barrière de la langue. L’anglais je ne l’avais pas appris à l’école. Toute ma scolarité s’était faite en français. Je devais donc naviguer dans une langue nouvelle, un environnement nouveau, où tout était policé, automatisé, évidé, débarrassé de chaleur humaine. Les trois premiers mois étaient les mois de l’adaptation. Les premières évaluations m’ont donné raison. Mes premières notes m’ont redonné la confiance.

En Janvier j’avais atteint ma vitesse de croisière. Les évaluations approchaient. J’avais passé le mois de Décembre à réviser, ne faisant une pause que pour le repas de Noel et le réveillon du nouvel an. C’est en pleines révisions à la bibliothèque, le premier Janvier 2018, que j’ai reçu ce fameux coup de fil. Tout ce que j’ai su faire c’était rentrer dans ma chambre, fermer les rideaux et plonger dans la dépression.

Je suis rentrée au Cameroun deux fois cette année-là, pour voir mes enfants bien-sûr mais aussi pour mener des batailles judiciaires. Je n’ai pas pu terminer mes études cette année-là. Je n’en avais ni le temps, ni la force, ni l’envie, ni la motivation. J’étais divorcée, fauchée et endettée. Il n’était plus question que de survie.

Imaginez ! Imaginez donc ce que j’ai pu ressentir quand j’ai reçu le message suivant par courriel le 27 Juillet 2020 :

Dear Marie Noelle,

Congratulations to the class of 2020 who over the coming days are receiving their final year results.  Each and every one of you should be commended for your resilience during these unprecedented times.  We are immensely proud of your achievements and hope we can all celebrate together in the near future.

“You should be commended for your resilience during these unprecedented times.” Ça ne vous surprendra pas si je vous dis que cette phrase pour moi n’a absolument aucun lien avec la pandémie de COVID 19.  

Au lieu d’un an, il m’en a fallu deux pour recevoir ce diplôme. Je n’avais pas la moindre idée deux ans plus tôt que cette formation là, ce diplôme là seraient chargé d’autant de poids. Lorsque deux ans plus tôt j’avais débuté les formalités administratives, il ne s’agissait que d’un pas de plus vers des rêves bien plus grands, bien plus ambitieux. Ce n’était que le début pour moi, une formalité, une promenade de santé. Les vrais choses allaient pouvoir commencer bien plus tard.

J’en ai reparlé avec ma mère il y a quelques semaines. Je lui ai dit : « C’était trop dur. Bien trop dur. Ça n’aurait pas dû être si dur ! »

C’est vrai. Ça n’aurait pas dû être si dur ! Il ne s’agit que d’un diplôme, pas d’un milliard de dollars. Peu de gens traversent un divorce, une dépression et une pandémie pour obtenir un diplôme. Mais qui sait à l’avance le prix que lui coûtera ses rêves ? Et si on pouvait le savoir, accepterait-t-on de le payer ? La facture n’est pas la même pour tout le monde. Et il y a de fortes chances que la personne qu’on admire de loin ait payé bien trop cher les choses qu’on lui envie.

Aujourd’hui je sais que je me trouve exactement là où Dieu, l’univers ou le destin a prévu que je sois à cet instant précis. Je sais que les coïncidences, les coups de chances et le cynisme du hasard m’ont mené aujourd’hui devant mon ordinateur, à écrire ces lignes que quelqu’un quelque part lira pour une raison qu’il ou elle ignore encore. Cette expérience de vie a affirmé ma conviction que rien de cher et de valable ne s’acquiert sans sacrifices. J’ai payé et je continuerai de payer le prix de mes rêves. Certes le tribut a été lourd, mais la joie et la sérénité qui m’habitent laissent entendre que le jeu en valait la chandelle. Et toi ? Es-tu prêt à payer le prix de tes rêves ?

8 commentaires sur « Payer le prix de ses rêves »

  1. Je suis hyper fière de toi en te lisant. Tu es allée au bout de ta route, tu as réalisé tes rêves, tes ambitions t’ont portée! Et tu peux être fière de toi aussi! Te lire est également une inspiration, il n’y a pas de freins que nous-mêmes dans la réalisation de nos rêves. Bravo MN!!!! Bravo vraiment!

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